Rencontre avec J.Kalman Stefansson

Il s’est remis à neiger quand Ólafía les rejoint à grand-peine. Le ciel abrite une multitude de flocons. Voilà les larmes des anges, disent les Indiens au nord du Canada quand la neige tombe. Ici, il neige beaucoup et la tristesse du ciel est belle, elle est une couverture qui protège la terre du gel et illumine l’interminable hiver, mais elle peut aussi être froide et presque impitoyable.

La tristesse des anges Actuellement en pleine lecture de « La tristesse des anges », deuxième volume de la trilogie, j’ai eu envie de faire un peu plus connaissance avec l’auteur J.K Stefansson. Je prends mon temps dans cette lecture, tant j’adore m’abreuver aux mots de cet écrivain poète. Entre le premier livre qui a laissé une empreinte éternelle sur ma vie « Entre ciel et terre » et celui que je lis maintenant, je me dis que j’ai trouvé l’auteur que j’attendais depuis longtemps. Il existe de nombreux questionnaires dans les groupes de lecture qui posent invariablement cette question : quels sont vos auteurs préférés ? Bien souvent je me suis dit que j’aurais du mal à répondre à une telle question, car je n’ai pas particulièrement d’auteur favori. Il y en a qui ont ma préférence mais ce sont plutôt les poètes. Aujourd’hui c’est différent, je pourrais répondre à la question en disant que l’un de mes auteurs préférés, celui qui déclenche en moi d’étranges rêves pendant que je le lis, celui à qui je trouve une humanité éblouissante, celui qui me fait voyager au cœur de la vie et de l’homme, c’est J.K Stefansson. Tout cela pour vous dire la raison qui m’a donné envie de faire cet article — collecter des informations sur un écrivain qui m’enchante.

Ecoutez : Nous autres par Zoé Varier le vendredi de 20h à 21h

Islande 1ère partie : entre terre et littérature – Rencontre avec Jon Kalman Stefansson –
Ecoutez sur France-inter – L’émission du vendredi 2 décembre 2011 –

Le poète qui écrivait des romans

Propos recueillis à Paris en mars 2011,  par Mikaël Demets

jon-kalman-stefanssonOn sent dans votre écriture une grande souplesse, comme si vous vous laissiez surprendre par ce que vous écriviez. C’est le cas ?

Cela fait clairement partie de mon style. Je commence toujours à travailler avec un plan assez précis, mais dès que je me mets à écrire, quelque chose de nouveau me vient, quelque chose d’imprévu, que je n’aurais jamais pu imaginer. C’est là que mon écriture rejoint la poésie : je laisse la porte ouverte à l’inattendu. J’écris avec mon cœur, avec mes sentiments. Or mes sentiments changent tous les jours, évoluent selon mon humeur, les événements extérieurs… Finalement, qu’est-ce que la création, sinon cette part d’incertitude et de spontanéité ? Je n’aime pas cet aspect de la fiction qui voudrait que tout soit anticipé, calculé. Le lecteur le sentira, et il ne sera jamais touché, jamais surpris.

Quelle fut la principale difficulté lors de l’écriture de Entre ciel et terre ?

Écrire un roman historique m’a posé beaucoup de problèmes. Ce genre est très classique, très traditionnel, et souvent, les écrivains qui s’y collent sont obsédés par les faits, par l’Histoire. Du coup, leur personnalité tend à disparaître derrière tout ça. Je ne voulais surtout pas que cela m’arrive. J’ai donc attendu avant de me lancer dans l’écriture de ce livre, le temps d’avoir plus d’expérience, et une technique qui me permettrait de surmonter ce problème. Je me suis entraîné. Au final, je suis content d’avoir écrit un roman, et non pas un roman historique.

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Entre ciel et terre a beaucoup de connexions avec Le Paradis perdu de John Milton : l’un des personnages est fasciné par ce livre, vous réutilisez beaucoup de citations de Milton, et vous lui empruntez même vos titres de chapitres. Comment expliquez-vous le rapport étroit qui lie votre ouvrage avec le sien ?

C’est venu tout seul, je ne l’ai pas vraiment décidé. A l’époque de l’écriture, je n’aurais pas su répondre à votre question : je sentais seulement que ce lien existait. J’avais un sentiment très fort qui me liait au Paradis perdu quand je travaillais sur Entre ciel et terre. Avec le recul, je pense que tout réside dans la double lecture que propose Le Paradis perdu. C’est d’abord un grand poème épique sur l’origine du monde, Adam et Eve, les débuts de l’humanité. Là où tout commence. Mais en même temps, et surtout, c’est une histoire d’amour. Simple et universelle. J’aime le balancement entre ces deux dimensions du texte. De plus, en Islande, la traduction de Milton par Jón Porláksson est d’une beauté extraordinaire, assez éloignée du poème originel, mais magnifique au point que la parution de cette version islandaise a été extrêmement importante pour notre littérature. Mais derrière ces raisons concrètes, il reste quelque chose d’indéfinissable : quand un écrivain emprunte des mots à un autre écrivain, il ne sait pas toujours l’expliquer. En tant qu’auteur, tu as les mots dans le sang, et lorsque tu écris, tu ressors tout ce que tu as à l’intérieur. C’est ainsi que Milton a surgi.

La mer a une très grande importance dans votre roman, on pourrait presque la considérer comme le personnage principal. Faut-il y voir le reflet de l’importance qu’a l’océan pour les Islandais ?

entre ciel et terre 200x300 RENCONTRE AVEC JON KALMAN STEFANSSON / Le poète qui écrivait des romansÊtre islandais, c’est ne pas avoir de voisins. Or vos voisins ont toujours une influence sur vous : l’Histoire de France est par exemple étroitement liée à l’Allemagne. Une partie de votre caractère a été forgée par cette relation. Mais en Islande, le voisin, c’est l’océan. Jusqu’à une époque récente, les Islandais n’étaient qu’un peuple de marins et de fermiers qui devaient sans cesse affronter ce monstre, portés par leurs fragiles embarcations. Quand on passe sa vie à lutter contre une force aussi immense et aussi puissance, cela marque forcément le caractère. En Islande, on ne peut pas échapper à la mer. Elle a imprégné notre mentalité.

Votre écriture paraît très animiste. La nature ressemble à un corps convulsé. On dirait que vous avez calqué le rythme de votre récit sur celui de la nature.

La vie est partout. Son cœur bat dans le vent, dans la neige, dans la mer.. Il y a un an, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajokull a paralysé la planète entière, alors que ça n’était qu’une toute petite éruption, un détail à l’échelle de la nature. Cet événement nous a remis à notre place, rappelant combien notre conception du monde était aberrante. Aujourd’hui nous ne jurons que par le dieu Technologie, nous croyons en lui, nous avons confiance en lui. Mais il suffit d’un petit sursaut de la nature et tout se détraque. Nous devons faire évoluer notre façon de penser et remettre la nature au cœur de notre vie. La plus grosse erreur de l’humanité consiste à tracer une ligne entre l’homme et la nature.

On a finalement l’impression que Entre ciel et terre est un texte sur les frontières, ou plutôt le dépassement des frontières. Entre poésie et fiction, entre humanité et nature et entre vie et mort.

Tout à fait. Ce livre mélange tout. Je ne crois pas aux frontières, de manière symbolique comme de manière très concrète. Les frontières reflètent un mode de pensée limité, fermé, qui nous rend étroits d’esprit. C’est un schéma qui engendre la haine, alimente l’incompréhension et l’ignorance. Naïvement, j’écris des livres pour changer le monde. Or l’un des principaux problèmes de ce monde réside dans cette conception étriquée du territoire et de la séparation avec l’autre.

Comme pour matérialiser cette porosité des frontières, votre récit est raconté par des personnages mystérieux, qui semblent coincés entre la vie et la mort.

Tout à fait. C’est un groupe de personnages qui a vraisemblablement vécu dans les temps où l’histoire s’est déroulée. Ils sont coincés quelque part entre vie et mort et ne savent pas pourquoi. Alors ils racontent l’histoire de l’orphelin et de Bárdur, en espérant que cela les aide à aller ailleurs. A mourir, enfin. En définitive, le plus grand pouvoir des hommes réside dans la parole : raconter des histoires, et surtout raconter des histoires sur le passé. Si l’on ne se souvient pas des jours passés, on n’apprend jamais rien. Les mots sont la seule chose qui nous distingue des animaux. On peut tout faire avec eux, changer la vie, changer le monde. Mais en même temps, arrive toujours un moment où ils sont impuissants. Les mots possèdent toute la terreur et toute la beauté du monde à la fois. C’est sans doute pour ça que j’en ai fait mon métier.

 

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Par Marie an Avel

Autrice indépendante. J'écris et je publie des livres illustrés : jeunesse, adulte, livre audio.

2 commentaires

  1. Merci pour cet article. J’ai vraiment hâte de le lire (Entre ciel et terre). Mais c’est étrange… quand j’ai l’espoir qu’un livre soit un livre que j’aime passionnément, je repousse la lecture, comme si j’avais peur d’être déçue et comme si j’avais envie de le laisser mûrir en moi, avant même de l’avoir lui. Oui je suis bizarre lol
    J’espère avoir ce même coup de coeur que toi. J’ai d’ailleurs aussi La tristesse des anges dans ma PAL. Rien que le titre je l’aime 😉
    Bonne fin de journée Marie bises

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    1. Tu peux toujours lire quelques lignes, histoire de voir si les mots t’emportent…
      Mais il est vrai que les livres aimés par certains ne plaisent pas à d’autres, selon le moment de la vie, l’humeur, le contenu de l’histoire ou le style tout simplement. C’est un peu mystérieux, on est embarqué ou bien on reste désespérément sur le quai. Il y a tant de livres et d’auteurs…
      En voyageant parmi eux on a toute les chances de faire des escales sur des îles paradisiaques, c’est une chance d’aimer lire … tous ces voyages à faire …
      On en reparlera quand tu le liras, quand tu en auras envie, à bientôt Laure!

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